Rome Ville Fermée
Anna Maria et Maria Luisa
« Anna et moi avons toujours été différentes, mais nous étions sœurs après tout et nous nous préoccupions l’une de l’autre comme le font deux sœurs, sans toutefois exagérer car nos personnalités nous ont différenciées suffisamment tôt. »
Marisa Pavan Aumont
Soumoy, Margaux. « Drop the Baby; Put a Veil on the Broad! » – Marisa Pavan’s Story, FriesenPress, 2021, p. 9
traduction de la citation originale en anglais : Margaux soumoy
Maria Luisa « Marisa » Pierangeli naît le 19 juin 1932 à Cagliari, en Sardaigne quelques minutes après sa sœur jumelle Anna Maria « Anna ».
Son père, Luigi Pierangeli, un architecte né en 1906, est le fils unique d’une famille catholique aisée originaire de Frontone sur la côte adriatique. Le père de Luigi décède à un jeune âge et il est élevé par sa mère bourgeoise ainsi que son oncle, membre influent du clergé, qui l’éduque selon les conventions religieuses traditionnelles.
Sa mère, Enrichetta « Enrica » Romiti, vient d’un milieu similaire. Née en 1908, elle est la fille unique d’une famille catholique relativement bourgeoise mais surtout très influente dans la commune de Fossombrone sur la côte adriatique. Ayant perdu son père lors de la Première Guerre mondiale, Enrica est élevée par sa mère et sa grand-mère maternelle, la matriarche de la famille.
Luigi et Enrica tombent amoureux et se marient alors qu’ils ne sont encore que de jeunes étudiants. Ils font également face au désaccord prononcé de la famille d’Enrica qui n’admet pas qu’elle se marie si jeune, et qui plus est, avec un garçon qui n’est pas convenable selon leurs dires.
En 1935, à la fin d’un contrat de trois ans pendant lesquels Luigi s’est affairé à assainir des marais infestés de moustiques en Sardaigne pour créer des terrains de construction, la famille retourne à Rome – où siège la société d’architecture indépendante de Luigi – et emménage au troisième étage d’un appartement construit par Luigi lui-même sur la Via Nemorense.
Luigi et Enrica se révèlent des parents stricts voulant transmettre à leurs filles l’éducation conservatrice et traditionnelle qu’ils avaient eux-mêmes reçue.
Quant à Marisa et Anna qui ne se ressemblaient déjà point physiquement malgré la détermination d’Enrica de toujours habiller ses jumelles de la même manière, leurs personnalités ne pouvaient que les différencier davantage. Lune versus soleil ; chat versus chien ; acide versus sucré… et je vous laisse continuer ! Marisa montrait tous les signes d’une personnalité introvertie et rebelle faisant écho à celle d’Enrica – mère dont elle avait également hérité les traits physiques – et elle ne se sentait pas proche de son père. Anna, quant à elle, se montrait plus docile et affichait une personnalité extravertie et séduisante qu’elle avait héritée de son père. Marisa la qualifiait de fille à papa. Même si les jumelles démontraient toujours beaucoup de considération et de respect l’une envers l’autre, leur relation n’était en aucun cas fusionnelle.
La Seconde Guerre Mondiale
« En tant que génération ayant été témoin de la guerre dès notre plus jeune âge, nous avons mûri beaucoup plus rapidement et beaucoup plus tôt dans la vie et sommes devenus des personnalités terre-à-terre possédant le besoin irrésistible d’être particulièrement généreux envers notre prochain. Nous ressentions le besoin de donner et de protéger. C’est inexplicable. »
Marisa Pavan Aumont
Soumoy, Margaux. « Drop the Baby; Put a Veil on the Broad! » – Marisa Pavan’s Story, FriesenPress, 2021, p. 19
traduction de la citation originale en anglais : Margaux soumoy
En juin 1940, l’Italie fasciste de Mussolini entre en guerre comme alliée de l’Allemagne nazie, déclenchant ainsi les nombreuses conséquences d’une telle décision pour la famille Pierangeli, tout comme pour tant d’autres familles en Europe. Rome devient ville occupée par l’armée allemande, et ses frontières sont étroitement surveillées.
La nourriture devenant de plus en plus rationnée dans la capitale, de longues files de civils affamés commencent à se former devant les épiceries. Incapable de tolérer la situation une minute de plus, Enrica prend la décision radicale de quitter sa famille pendant quelques mois pour s’en aller chercher de l’approvisionnement alimentaire à l’extérieur de Rome en s’habillant comme un homme et en se cachant à l’arrière de camions pour atteindre les terres de sa côte adriatique natale. Luigi et ses filles semblent alors avoir perdu tout espoir de revoir Enrica vivante avant que celle-ci ne leur fasse la surprise de réapparaître à la maison un beau jour, les bras chargés de sacs remplis de nourriture.
Pendant la guerre, la famille Pierangeli prend un risque supplémentaire : celui de cacher dans leur sous-sol le Général Pavan, un ami proche de confession juive qui est alors activement recherché par les nazis et les fascistes. L’un des oncles de la famille Pierangeli du côté d’Enrica avait d’ailleurs été officier sous le commandement du Général dans le passé. Durant ces années terribles, la petite Marisa se rapproche beaucoup du Général pour qui elle gardera une affection particulière tout au long de sa vie.
En juin 1944, l’armée allemande est chassée de Rome par les Américains et la guerre touche à sa fin après la mort de Mussolini le 28 avril 1945, un monstre qui n’omettra pas de traumatiser Marisa à vie, la poussant ainsi dès son plus jeune âge à développer non seulement un sens aigu de l’observation du monde qui l’entoure, mais également une âme rebelle.
Les Débuts d’Anna Maria Pierangeli
« Tous nos amis étaient venus nous dire au revoir à l’aéroport, et ils avaient rendu ça sensationnel ! Ça m’avait vraiment touchée. Je pleurais comme une madeleine derrière le hublot de l’avion. Je ne pouvais pas m’arrêter. »
Marisa Pavan Aumont
Soumoy, Margaux. « Drop the Baby; Put a Veil on the Broad! » – Marisa Pavan’s Story, FriesenPress, 2021, p. 45
traduction de la citation originale en anglais : Margaux soumoy
Le 15 novembre 1947, la famille Pierangeli célèbre la naissance inattendue d’un nouveau membre : celle d’une troisième petite poupée prénommée Patrizia, qui rend déjà Luigi gaga, et qui deviendra une femme aussi magnifique et talentueuse que ses sœurs aînées. Elle développera cependant une connection plus particulière avec Marisa qui passera d’ailleurs une grande partie de sa jeunesse à s’occuper d’elle et à l’élever.
Même si l’impact de la guerre fût considérable sur la psyché d’Anna et de Marisa, les jumelles, maintenant toutes deux de jeunes et belles adolescentes, devaient trouver un sens à leur vie. Tandis qu’Anna se trouve une certaine vocation pour les arts manuels, du côté de Marisa, c’est une passion obsessionnelle pour la danse qui commence à se développer, et l’adolescente rêve alors de devenir ballerine. Rêve certainement influencé en partie par la propre obsession d’Enrica pour le monde du spectacle, mais rêve qui ne risquait pas de devenir réalité tant que Luigi était dans les parages. Dans son esprit, être payé pour se trémousser en tutu devant des spectateurs ne rentrait pas dans la catégorie des professions dignes.
Ayant toutes deux fréquenté la même école élémentaire, en termes de résultats scolaires, les jumelles étaient dans la moyenne. Ni mauvaises, ni particulièrement brillantes. Après avoir passé deux ans de sa scolarité à la maison à cause de la pleurésie qu’elle a attrapée durant les années de guerre, Anna est envoyée dans une école d’art, tandis que Marisa est envoyée au Lycée Torquato Tasso, connu pour être l’établissement d’enseignement le plus strict à Rome, où elle y étudie l’Histoire, la littérature, le Grec, et le Latin, et où elle y développera un goût prononcé pour le classicisme qui définira sa future personnalité. Marisa est également régulièrement envoyée chez son grand-oncle maternel Giuseppe Cesarini, notaire de Fossombrone, qui l’accueille dans sa somptueuse maison (à ce jour un musée). N’ayant jamais eu d’enfants, Cesarini se prend d’affection pour sa petite nièce et l’éduque encore plus loin, tel un pygmalion, sur l’Histoire et l’art. Marisa le considérera toute sa vie comme un second père.
Le cours du destin de la famille Pierangeli change définitivement au printemps 1948. Un jour, Luigi rend visite à l’actrice de films muets Elena Caterina « Rina » Catardi (mieux connue sous le nom de Rina De Liguoro) dans l’appartement de cette dernière qu’il a lui-même construit. Des problèmes concernant l’apport d’eau dans l’appartement sont constatés. Anna, qui n’a d’yeux que pour son père, l’accompagne. Dès qu’elle entre dans l’appartement, l’innocente jeune fille de 15 ans au visage angélique attire immédiatement l’attention du réalisateur Franco-Russe Leonid Moguilevsky (Léonide Moguy), ami de De Liguoro, qui se trouve justement en visite à Rome avec sa femme et sa fille.
« Après neuf ans que je cherche une vedette pour un film que j’ai écrit avec Marcel Achard… ! C’est elle ! C’est elle ! », s’exclame Moguy juste devant Anna et son père.
Confuse par la situation, Anna reste muette, tandis que Luigi, jaloux et déterminé à ne pas se laisser embobiner par tout ce cinéma (c’est le cas de le dire), attrape Anna et se dépêche de rentrer à la maison.
Et pourtant, le plus fou était à venir. Une semaine plus tard, Anna descend la Rue Veneto en compagnie de son amie Maria après que les deux élèves sont renvoyées de leur école d’art pour la journée à cause de la maladie d’un professeur. Maria invite alors Anna à s’arrêter quelques instants dans une galerie d’art pour y observer quelques toiles de Picasso. C’est alors que le fameux réalisateur néoréaliste italien Vittorio De Sica, qui sirote une tasse de café non loin des jeunes filles, aperçoit la magnifique et délicate créature qui se dresse devant lui. Maria alerte alors discrètement Anna que De Sica se trouve juste derrière elles.
« Est-ce que je peux vous regarder ? », demande De Sica en tapotant l’épaule d’Anna. Une fois de plus, Anna, qui a du mal à fixer du regard l’intimidante présence devant elle, ne dit pas un mot.
« J’ai un ami qui s’appelle Léonide Moguy. Il est venu de Paris et il cherche une vedette pour son film. Et moi, je crois que vous êtes la seule qui puissiez jouer ce rôle. », continue De Sica.
Marisa n’était pas la seule à admettre que les circonstances des débuts d’Anna au cinéma étaient tout bonnement incroyables, puisque non pas un mais deux réalisateurs étaient tombés par pur hasard sur la même jeune fille à Rome à une intervalle de seulement quelques jours. Les deux avaient eu l’immédiate conviction qu’Anna était la fille qu’il leur fallait, même si, entre temps, des centaines d’autres jeunes filles avaient auditionné précédemment pour le rôle. Anna se voit donc offrir le rôle principal de Mirella dans le film de Moguy intitulé Demain il sera trop tard. Mais il y en avait un qui restait à convaincre. Anna étant mineure, Luigi accepte finalement de signer son contrat à une condition.
« Je te laisse faire ce film seulement si tu es la meilleure de toutes. Autrement, c’est fini pour toi. », dit Luigi à sa fille.
Écrit par Moguy et Alfred Machard avec la collaboration de Paola Ojetti, Oreste Biancoli, et Giuseppe Berto pour Rizzoli et Giuseppe Amato, Demain il sera trop tard raconte l’histoire dramatique mais au dénouement heureux de l’écolière Mirella Giusti (Anna) qui découvre l’amour et le désir avec son amoureux Franco Berardi (Gino Leurini), alors que les deux sont élèves au sein d’un établissement catholique strict et conservateur. Les disputes continuelles entre les anciennes et nouvelles générations de professeurs (dont l’un est joué par De Sica lui-même) alimentent le but du film néoréaliste de l’Italie d’après-guerre de Moguy qui se veut être un outil de promotion pour une éducation des jeunes plus terre-à-terre et sincère, tout en leur offrant la joie et l’espoir d’un futur meilleur après le traumatisme d’un tel passé historique et social.